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La sémantique de Kripke

L'idée intuitive de p, est que p est vrai dans tous les mondes possibles, ou dans tous les états possibles, j'utilise ``monde" et ``état" comme des termes informels ou primitifs). L'idée intuitive de p est qu'il existe au moins un monde dans lequel p est vrai. Kripke relativise cette idée à chaque monde. Je désigne les mondes par des lettres grecques α, β, γ.... ξ désignera une (méta)-variable parcourant les mondes. L'idée de Kripke est d'introduire une relation d'accessibilité entre les mondes et d'interpréter p dans un monde α par le fait que p est vrai dans tous les mondes accessibles à partir de α.

Dans les schémas, les ronds représentent les mondes (les états). Les formules écrites à l'intérieur des mondes sont vraies dans ces mondes. La relation d'accessibilité est représentée par une flèche. Remarquons que p est équivalent à   p, en particulier la proposition p est toujours vraie (et p est toujours fausse) dans un monde duquel ne part aucune flèche. Un tel monde ou état est appelé un dernier monde ou un dernier état. La figure A.1 illustre, par exemple, avec la sémantique de Kripke, le carré Aristotélicien sur lequel Aristote distinguait le contraire de la négation avec les modalités (ontiques) nécessaire et possible:

 
Figure A.1: Le carré Aristotélicien

Un référentiel
(W,R) est un ensemble W dont les éléments sont appelés mondes ou états, muni d'une relation binaire R, appelée relation d'accessibilité.
Un modèle
(W,R,V) est obtenu lorsqu'est assignée dans chaque monde une valeur, vrai ou faux, pour les variables propositionnelles p, q, r, ... Si L désigne le sous-ensemble p, q, r, ... de l'alphabet, l'assignation est capturée par une fonction V de L W dans {vrai, faux}.
Chaque monde est supposé obéir à la logique classique, si bien que V définit une valuation booléenne pour chaque monde. Cela signifie que si la proposition p est vraie dans un monde α, et si q est vraie dans α, alors p ∧q est vraie dans α, etc. Je rappelle que p →q est classiquement vraie si p est fausse ou si q est vraie (ou encore si (p ∧q) est fausse). est une constante propositionnelle désignant, dans chaque monde le faux, et est une constante propositionnelle désignant dans chaque monde le vrai. Résumons l'idée de Kripke on a: A est vrai dans α ssi pour tout monde ξ tel que αR ξ, A est vrai dans ξ. De même: A est vrai dans α ssi il existe un monde ξ tel que αR ξ et A est vrai dans ξ. αR ξ est lu α accède à ξ, ou encore ξ est accessible à partir de α. Remarque: En logique classique non modale, la valeur de vérité d'une formule est univoquement déterminée par la valeur des sous-formules, et donc par la valeur des variables propositionnelles. Ce n'est plus le cas en logique modale. La valeur de vérité de p, dans un monde α, ne dépend pas, a priori, de la valeur de vérité de p dans α, comme on le voit dans la figure A.2.

 
Figure A.2: La logique modale n'est pas vérifonctionnelle

Il n'y a donc pas moyen d'utiliser une table de vérité pour évaluer une formule modale à partir des valeurs de ses variables propositionnelles. Définition fondamentale. Nous savons qu'en logique classique une tautologie est une formule qui est vraie quelle que soit la valuation de ses variables propositionnelles. Ainsi p →p, p ∨p, p →, →p, sont des tautologies classiques. On dira qu'un référentiel (W,R) respecte une formule A si, quelle que soit la valuation V que l'on pourrait choisir, A est vrai dans tous les mondes de W. Dit autrement : un référentiel (W,R) respecte une formule A si et seulement si A est vraie dans tous les mondes dans tous les modèles que l'on peut construire sur le référentiel. Conséquences:

  1. Tous les référentiels respectent les tautologies classiques non modales puisque la logique classique est valable dans tous les mondes.
  2. Pour la même raison tous les référentiels respectent les tautologies classiques dans lesquelles on a substitué les variables propositionnelles par des formules quelconques, comme p →p, p ∨  p, etc.
  3. ((p →q) ∧p) → q est vrai dans tous les mondes de tous les modèles.
Preuve. Supposons que ((p →q) ∧ p) soit vraie dans un monde α. Alors (p → q) et p sont chacune vraie dans α (par la sémantique classique (tarskienne) du ). Par Kripke: p est vraie dans α, si p est vraie dans tous les mondes accessibles à partir de a (et donc a fortiori s'il n'en existe pas), de même (p →q) est vraie dans α si (p →q) est vraie dans tous les mondes accessibles à partir de α. Mais chaque monde respecte la logique classique, et donc q est vraie dans tous les mondes auxquels accède α. Mais si q est vraie dans tous les mondes accessibles à partir de α, alors, par Kripke, q est vraie dans α. Donc, dans un monde α quelconque, q ne peut pas être fausse en même temps que ( (p →q) ∧p) soit vraie. Donc ((p →q) ∧p) →q est vraie dans tous les mondes, quelles que soient les valeurs de p et q. Conclusion. La formule ((p →q) ∧ p) →q, ou plutôt la formule (tautologiquement) équivalente (p →q) →(p →q) est respectée par tous les référentiels. On la désigne par K (pour Kripke).

(p →q) →(p →q) \ K

Toutes les formules ne sont pas respectées par tous les référentiels. Beaucoup de formules sont cependant respectées par une classe de référentiels caractérisée par la relation binaire. C'est là que réside l'intérêt de la sémantique de Kripke: associer un type de référentiel (c'est-à-dire une relation binaire) à une formule modale. Cela permet, par exemple, de rapidement réaliser l'indépendance sémantique de nombreuses formules modales. En particulier il n'est pas difficile de démontrer:

Je rappelle qu'une relation binaire définie sur un ensemble E est transitive si xRy et yRz entraîne xRz, pour x, y, z appartenant à E. Les référentiels transitifs caractérisent ainsi la formule modale p → p. Un relation sur E est réflexive si xRx, et symétrique si xRy entraîne yRx, avec toujours x, y quelconques appartenant à E. On a:



Les référentiels réflexifs caractérisent ainsi la formule modale p →p, et les référentiels symétriques caractérisent la formule modale p →p. Et, on est assuré de l'indépendance logique des formules T (c'est le nom ``officiel de p →p), 4 (c'est le nom ``officiel" de p →p) et B (c'est le nom ``officiel" de p →p). Définition. Un référentiel (W, R) est idéal s'il ne possède pas de dernier monde. Je dirai simplement que R est idéale sur W, ou encore que R est idéale. Définition. Un monde est transitoire ssi il n'est pas un dernier monde. Évidemment, un référentiel est idéal si et seulement si tous ses mondes sont transitoires. Exemples:

 
Figure A.3: la boucle et l'éventail sont idéales

On a:

La formule ``p →p est appelée D. J'appelle C la formule ``p →p" Définition. Un référentiel (W,R) est réaliste si pour tout monde transitoire α appartenant à W il existe un dernier monde δ accessible à partir de α. Si on interprète un dernier monde (état) comme un décès, on voit qu'à la différence d'un référentiel idéal où ``l'immortalité" est en quelque sorte garantie, dans un référentiel réaliste, bien que l'immortalité est possible (si le référentiel est infini ou possède une boucle) elle n'est jamais garantie. Partout on peut emprunter un chemin (une flèche, ou une suite de flèches si la relation est transitive) qui aboutit à un dernier monde.

On peut trouver la preuve de cette proposition (et des propositions du même genre, voir aussi [Boolos, 1979, Boolos, 1993, Chellas, 1980]) dans le rapport technique [Marchal, 1995].


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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999