next up previous contents
Next: Une formulation générale du Up: Le problème du corps Previous: Le problème du corps

Le paradoxe du fonctionnalisme



Preuve. Considérons la petite histoire suivante
Jeanne retira rapidement sa main du réchaud. Il était froid pourtant.
L'explication typique, de la psychologie populaire ou ``de grand-mère" comme on l'appelle parfois, consiste à attribuer des croyances à Jeanne, croyances en général liées à des souvenirs, comme celui de s'être brûlée à un réchaud, ou avoir vu quelqu'un se brûler à un réchaud, etc. S'il existait une 3-justification mécaniste, le fonctionnalisme devrait interpréter une ``croyance de Jeanne" par un état ``computationnel du corps (cerveau) de Jeanne". ``A croit quelque chose" signifie que A est dans un état particulier que l'on pourrait caractériser par une collection de comportements qui définiraient cette croyance, un peu comme on peut définir une fonction par ses couples entrées-sorties, ou un état fonctionnel d'une machine par les possibles entrée-sortie. Dans ce cas on peut attribuer un rôle causal à la croyance et justifier des propositions psychologiques. Mais si cette 3-justification est complète, l'expérience de la personne, en l'occurrence Jeanne, n'a aucun rôle, ni dans son comportement ni pour ces 1-discours, lesquels deviennent alors vide de sens, puisque ces 1-discours évoquent justement l'expérience phénoménale ainsi que le rôle de cette expérience. Par exemple Jeanne nous dit : ``C'est parce que je me souviens de la douleur ressentie en touchant un réchaud que j'ai crains un moment de risquer de me brûler à nouveau". Cela semble presque aller dans le sens des scientifiques qui pensent que le problème du corps et de l'esprit n'est pas scientifique. En particulier cette évacuation serait sans doute jugée bienvenue par les épistémologues strictement positivistes, ainsi que par ceux qui ont une conception purement instrumentaliste de la science. Cette évacuation pourrait peut-être satisfaire également les philosophes analytiques parmi ceux qui espèrent réduire complètement les questions métaphysiques à des questions de linguistique. Mais cette évacuation serait jugée prématurée par tout ceux qui reconnaissent en eux l'expérience, ou une expérience, phénoménale (consciente donc!). Bref, elle choquerait tout ceux qui pensent qu'ils ne sont pas des zombies. C'est le paradoxe du fonctionnalisme matérialiste : son succès (apparemment complet) enlèverait tout rôle à la conscience. Celle-ci deviendrait, au mieux un épiphénomène, au pire un mot sans référent : nous serions des zombies et le prix à payer pour une 3-justification des discours de la première personne serait l'absence de la première personne. Elle évacuerait la psychologie de grand-mère qui non seulement attribue la conscience à la première personne, mais attribue un rôle à cette conscience. Mais le plus grave, concernant le présent travail, est le fait que cette évacuation rendrait inintelligible l'hypothèse du mécanisme indexical. En effet, l'hypothèse du mécanisme indexical a été présenté comme une réponse (en l'occurrence la réponse hypothétique ``oui") à une question posée à une première personne. Le mécanisme a été illustré par une procédure de survie personnelle. L'aspect indexical du mécanisme présuppose un minimum de psychologie populaire. On peut cependant retenir la leçon :

Avec la thèse de Church nous avons été prévénu: certaines machines seront plus éloquentes par leur silence que par leur bavardage. Remarquons aussi que s'il existait des 3-justifications complètes il deviendrait possible de déterminer explicitement le niveau de substitution auquel on survit. %[cf le principe de Bénacerraf] Il n'est donc pas interdit de penser qu'une 3-justification (et donc une justification de nature scientifique) puisse néanmoins expliquer complètement, quoiqu'indirectement, le caractère vrai mais incommunicable d'une partie des 1-discours, et par là rendrait compte de la première personne. Ce que nous savons à présent c'est qu'elle serait nécessairement incomplète. Mais ceci est justement rendu possible (et nécessaire!) par la thèse de Church. Une telle 3-justification pourra donc servir une phénoménologie de l'esprit, et le computationnalisme conduit naturellement à une telle phénoménologie de l'esprit. Beaucoup de philosophes ont l'air de penser qu'une phénoménologie de l'esprit constitue par elle-même une explication (mécaniste) de la relation de l'esprit au corps. Une telle phénoménologie donnerait la solution au problème du corps et de l'esprit. L'essentiel du présent travail a consisté à montrer que tel n'est pas le cas : les arguments du DU et du GF ont en effet éliminé, avec le computationnalisme, la matière ou tout univers substantiel. Cette élimination a transformé le problème du corps et de l'esprit en la dérivation d'une phénoménologie de la matière. On a donc dû non seulement justifier les 1-discours et le rôle de la conscience (comme vérité accessible mais non communicable), mais on a dû aussi justifier nos croyances en une apparence mesurable (physique) et notre connaissance (vraie) des sensations physiques.
next up previous contents
Next: Une formulation générale du Up: Le problème du corps Previous: Le problème du corps

Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999