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Par ``philosophie de Pythagore", ce que je désignerai par PP0
ou simplement PP, j'entends l'idée selon laquelle
tout est nombre (naturel) ou rapport de nombres (naturels).
Après avoir découvert les rapports harmoniques, Pythagore aurait,
en effet, postulé que, en particulier, toutes les grandeurs mesurables
devraient pouvoir s'écrire sous forme de quotient de nombres naturels.
Cette philosophie a été jugée réfutée après la
découverte, par les Pythagoriciens eux-mêmes, que la longueur d'un
coté d'un carré de surface 2 ne peut pas s'écrire sous forme
d'un tel rapport.
Il n'empêche que cette longueur, de la diagonale de ce carré de surface 2, peut
s'écrire, et s'écrit traditionnellement sous forme de raci1 selon laquelle
tout est nombre ou rapport de nombres ou racine de nombre.
Les mathématiciens savent cependant qu'une telle philosophie
aurait été jugée réfutée au 19ième siècle
lorsqu'Abel, en 1824, démontre que d'une façon générale les solutions
d'une équation polynomiale de degré supérieur à 4 ne peuvent pas s'écrire
sous forme de radicaux. De même il est bien connu qu'Hermite, en 1873, et
Lindemann, en 1882 (voir Simmons 1992) démontreront que le nombre
d'Euler e et le nombre π, dont les décimales sont pourtant
calculables, ne peuvent pas être solution d'une équation
polynomiale, et donc en particulier, n'admettent pas de descriptions sous
forme radicales (en terme de racine, somme, soustraction et rapport). Mais
pourquoi ne pas imaginer à nouveau une école pythagoricienne selon
laquelle tout est nombre ou combinaisons de nombre, où les
combinaisons comprennent les rapports, les racines, et le minimum
indispensable pour calculer les solutions des équations polynomiales, ainsi
que e et π ?
Notons qu'un nombre réel (positif) peut être codé par
une fonction des naturels dans les naturels. Par exemple, ayant
choisi une base, en envoyant 0 sur la partie entière, 1 sur la
première décimale, 2 sur la 2ème, ainsi de suite. La
question, alors, est de savoir, si la suite des écoles
pythagoriciennes va converger, dans le sens qu'il existerait une
école universelle PPu capable de calculer toutes les
fonctions calculables. Il existerait alors une collection finie
d'opérations calculables, dont les combinaisons finies et
descriptibles (communicables) permettraient de calculer toutes les
fonctions calculables, et en particulier tous les réels
calculables. Si on avait demandé s'il existe une école
capable de calculer
tous les réels, la réponse aurait été non.
On connait l'argument par la diagonale de Cantor montrant que les
réels sont indénombrables, alors que les fonctions de
l'école PPu sont clairement dénombrables puisqu'on peut
énumérer les descriptions des combinaisons finiment
communicables, combinaisons des opérations calculables admises
comme primitive par cette école.
Curieusement l'argument de la diagonale semble pouvoir réfuter,
non seulement l'existence d'une école capable de calculer tous
les réels, mais semble pouvoir réfuter aussi l'existence d'une
école capable de calculer toutes les fonctions calculables, ou
tous les réels calculables. C'est avec l'argument de la
diagonale que Kleene a en effet estimé, pendant un temps, pouvoir
réfuter la ``définition" de Church. L'échec de cette
réfutation, autrement dit la fermeture de l'ensemble des fonctions
calculables pour l'opération de diagonalisation, constitue la motivation
conceptuelle
la
plus profonde pour la thèse de Church. C'est en découvrant cette fermeture que
Kleene est devenu un partisan zélé de la thèse de Church. Cela vaut la
peine de regarder pourquoi la diagonalisation
semble pouvoir réfuter la thèse de Church. On retrouvera par
ailleurs le fait que la thèse entraîne l'incomplétude.
En effet,
j'ai déjà mentionné le fait que les fonctions calculables par
l'école PPu sont
énumérables. Enumérons-les donc:
f0, f1, f2, f3, f4, f5, f6, f7, ...
mais alors la fonction g définie au moyen de la
première
diagonalisation
g(n) = fn(n)+1
n'est pas calculable par l'école PPu. En effet, si elle
était calculable par l'école PPu, elle
appartiendrait à l'énumération. Il existerait alors un
nombre k tel que g = fk.
On pourrait procéder alors à une deuxième
diagonalisation, en appliquant g sur l'indice k correspondant à
sa description. On obtient
g(k) = fk(k)
puisque g = fk, et on obtient aussi
g(k) = fk(k) + 1
par définition de k, et donc on a montré:
g(k) = g(k) + 1
Absurde ? Aurions-nous réfuté l'universalité de
PPu, aurions-nous réfuté la thèse de Church ?
En réalité, ce couple de diagonalisations ne réfute pas la thèse
de Church, mais entraîne, avec et sans la thèse de Church, de
nombreuses conséquences intéressantes.
- Sans la thèse de Church
- Si les pythagoriciens de l'école
PPu prétendent que leurs procédures ne définit que des
fonctions au sens habituel du terme, c'est-à-dire des fonctions totales,
c'est-à-dire des fonctions définies sur chaque nombre
naturel, alors chaque fk est totale, et alors gk est totale.
Dans ce cas
g(k) ne peut pas être égale à g(k)+1, g ne peut pas être
égale à une fi, et nous avons, effectivement, réfuté
l'universalité de PPu. On a démontré
l'impossibilité d'énumérer la collection des
fonctions totales calculables. La démonstration est
constructive : étant donné une énumération de
fonctions totales calculables, la diagonalisation permet de
générer une nouvelle fonction totale calculable. La
diagonalisation fait ici office de limite constructive permettant
de générer une hiérarchie transfinie d'écoles
pythagoriciennes de plus en plus larges.
- Avec la thèse de Church
- Dans ce cas, une
école universelle du style PPu existe, et il en existe même
beaucoup (FORTRAN, LISP, le jeu de la vie de
Conway [Wainwright, 1974], le problème de n corps
[Moore, 1990], l'ordinateur de von Neumann, l'ordinateur quantique
de Deutsch [Deutsch, 1985], etc.). Que se passe-t-il alors avec
l'énumération des fonctions fi de PPu ? Comme on a
démontré que g(k) = g(k) + 1, on a démontré que g n'est
pas définie en k. La machine universelle qui calcule g sur k
ne s'arrête pas. On a démontré que toute énumération
de fonctions qui contient toutes les fonctions totales calculables
contient nécessairement des fonctions partielles calculables,
c'est-à-dire non partout définies. Nous sommes aussi arrivés à
deux pas d'un phénomène d'incomplétude. En effet,
aucune machine universelle, ni aucune théorie complète et
axiomatisable ne peut nous permettre de distinguer uniformément
les indices des fonctions totales calculables des indices des
fonctions partielles calculables, puisque cela permettrait en
parcourant les fi d'extraire une sous-énumération
complète des fonctions totales calculables. Mais alors la double
diagonalisation s'ébranlerait à nouveau.
Notons qu'avec la thèse de Church, il est possible de
préciser les conséquences, sans la thèse de Church,
de cette double diagonalisation, en construisant, par exemple, des
hiérarchies ω1CK-transfinies d'écoles pythagoriciennes,
où ω1CK représente l'ordinal de Church et Kleene. Il est le
plus petit ordinal non constructif, voir [Church and Kleene, 1937].
Avec la thèse de Church, la vieille philosophie de Pythagore est
réhabilitable sous la forme ``tout est nombre ou transformation
universelle de nombre". Par transformation universelle d'un
nombre, j'entends simplement le travail d'une machine universelle
appliquée à ce nombre.
Le prix de la ``réhabilitation" est qu'on ne peut pas
prédire, d'une façon générale, le produit d'une
transformation universelle, ni même s'il y en a un. On doit alors
reconnaître le caractère universel et objectif (machine-indépendant), de
l'incomplétude.
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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999