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L'arithmétique comme ``Théorie de Tout"

Il a lieu de comparer brièvement ici notre approche avec les TOE (Theory Of Everything, théorie de tout) proposées par certains physiciens. Les TOE reposent sur l'idée, forcément spéculative, de l'existence d'une unification des lois de la physique, ainsi que sur l'idée philosophique selon laquelle il existe un univers concret dont le statut ontologique est indépendant de nos observations (HU). Nous avons démontré qu'un tel univers, avec le computationnalisme, ne peut expliquer ni l'origine de nos sensations à la première personne, ni surtout l'origine de nos observations et de nos mesures communicables à la troisième personne. Avec le mécanisme, une unification des lois de la physique devrait être justifiée sur base de la mesure définie sur les histoires computationnelles. Même sans le mécanisme, on serait en droit de poser aux physiciens, en supposant qu'ils aient unifiés les lois de la physique: ``pourquoi ces équations-là ? Pourquoi de telles conditions initiales ? etc." Et on ne voit pas comment ils pourraient justifier l'origine de ces équations sur base d'une loi physique sans tomber dans une régression infinie (voir [Wheeler, 1994], et aussi [Deutsch, 1986a] pour une réflexion similaire, voir aussi [Gardner, 1996]). On voit donc mal comment la physique pourrait résoudre le ``problème dur de la matière": pourquoi un univers semble-t-il exister et obéir à des lois ? En ce qui concerne le ``problème dur de la conscience", la situation serait d'autant plus catastrophique que les physiciens parviendraient à unifier des lois exhaustives de la nature, car alors elles rendraient superflue la conscience et la première personne. C'est le bien connu ``paradoxe du fonctionnalisme" (voir annexe D, voir aussi [Tye, 1995]). Voilà peut-être pourquoi de nombreux ``scientifiques" matérialistes estiment que les deux problèmes ``durs" ne sont pas scientifiques. L'attitude proprement ``scientifique", me semble-t-il devrait plutôt consister, lorsqu'on a le sentiment qu'une science A ne peut pas résoudre un problème, de voir si une autre science B ne peut pas résoudre le problème, quitte à remettre en cause les a priori philosophiques qui faisaient de la science A une science fondamentale. J'ai démontré ici que c'est exactement ce qui doit se passer si on prend l'hypothèse du computationnalisme au sérieux. Une psychologie générale, reposant exclusivement sur l'informatique théorique et/ou la théorie des nombres, et ça de façon non réductionniste, doit devenir fondamentale. Le miracle est que la thèse de Church et la non-trivialité de l'autoréférence des machines ``abstraites" rend cette approche, non réductionniste par nécessaire incomplétude, possible. L'autre miracle est la ressemblance entre les phénoménologies du mécanisme et les phénoménologies de la mécanique quantique sans réduction de l'onde (voir annexe C). Martin Gardner exprime son scepticisme à l'égard de l'idée qu'il puisse y avoir une théorie de tout, dans son article sur la théorie des supercordes. Cette théorie est considérée comme une candidate à une théorie de tout par des physiciens. Il dit :
There is, of course, no way a scientist can answer the superultimate question of why, as Stephen Hawking recently put it, the universe bothers to exist. [Gardner, 1996]
Mais il n'y a aucun moyen pour un scientifique de prouver l'existence de l'univers, et avec l'hypothèse du computationnalisme, un scientifique peut répondre Sir(e), je n'ai pas besoin de cette hypothèse. On ne prétend pas ici avoir une explication de l'existence de l'apparence de l'univers, on prétend avoir seulement démontré, avec les arguments du déployeur universel (et donc avec la thèse de Church) et du graphe filmé, que si on accepte l'hypothèse du mécanisme on doit rendre compte de cette apparence de toute façon. Quant aux similarités entre la phénoménologie mécaniste de la matière et le monde quantique, elles constituent (seulement) un début de confirmation inductive du computationnalisme, et de l'importance des modalités de l'autoréférence (cf. aussi [Dalla Chiara, 1977a]). En fait, indépendamment de toute considération sur la nature de la science fondamentale, il est souvent tenu pour ``évident" qu'il est impossible de savoir pourquoi nous existons. Cette évidence repose sur le sentiment qu'une explication doit reposer sur des prémisses reposant elles-mêmes sur une explication, et ainsi de suite. On réalise cependant que pour concevoir et juger définitive cette impossibilité, il est nécessaire de concevoir la litanie des nombres naturels: le ``ainsi de suite". Cependant, avec le computationnalisme, ce qui est nécessaire pour concevoir cette litanie, est suffisant pour comprendre pourquoi il est nécessaire pour les machines abstraites et consistantes, autoréférentiellement correctes relativement à leur type d'environnement computationnel ``le plus proche" d'en venir à se poser elles-mêmes des questions sur leur nature et la nature de leurs environnements, et d'en venir, parfois, à produire des inférences correctes. La portée du computationnalisme est d'autant plus grande qu'on sait depuis les résultats d'incomplétudes, et l'écroulement qui s'en suivi du logicisme, qu'il n'est pas possible d'axiomatiser l'arithmétique ou l'informatique de façon finie ou réductionniste. Le computationnalisme permet et oblige d'extraire une phénoménologie de l'esprit et une phénoménologie de la matière de l'arithmétique, mais laisse nécessairement intact le mystère de nos croyances en la vérité arithmétique, justifiant partiellement, de ``l'intérieur", le caractère injustifiable de son ontologie. Voilà pourquoi, avec la thèse de Church, et la confirmation quantique du mécanisme, l'arithmétique intuitive, alias la théorie des nombres et ses variantes intensionnelles, pourrait bien être la plus simple et la plus riche ``théorie de tout" qu'on puisse avoir à notre disposition. Il ne s'agit pas ici de proposer une panacée universelle. Il s'agit au contraire de comprendre que le computationnalisme force un renversement de point de vue, qui rend plus large encore notre ignorance relative, et qui rend plus vaste l'espace de nos horizons accessibles. En toute matière, sans jeu de mots, l'acte de foi du philosophe mécaniste lui donne plus de raisons d'espérer et plus de raisons de craindre. %
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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999