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L'hypothèse computationnaliste, ou plus simplement le
mécanisme, que je considère ici, est
l'hypothèse selon laquelle je suis une machine,
ou vous êtes une machine. De façon précise je
m'intéresse
à l'hypothèse selon laquelle nous pourrions survivre, non
seulement avec un coeur artificiel ou un rein artificiel, etc.,
mais aussi avec un cerveau artificiel digital (finiment
descriptible) pour autant qu'il soit configuré convenablement
au niveau adéquat.
Le but n'est pas de défendre cette hypothèse, mais d'en
étudier les conséquences, notamment
concernant le problème du corps et de l'esprit.
En particulier je vais montrer que, contrairement à une
idée
très largement répandue aussi bien chez les
philosophes, les physiciens que chez l'homme de la rue, le
mécanisme est incompatible avec le matérialisme.
Je vais démontrer que le mécanisme est incompatible
avec le monisme matérialiste selon lequel il existe
exclusivement un univers substantiel descriptible en principe
entièrement en termes physiques. Je vais incidemment
démontrer aussi que le mécanisme est incompatible avec
le dualisme selon lequel il existe à la fois un univers
concret (décrit par les lois de la physique), et un
univers spirituel. En fait le dualisme peut
être vu comme un double matérialisme puisque le
dualisme tente de substantialiser aussi bien le
corps-matière que l'âme-esprit.
Je vais donc démontrer que le mécanisme nécessite un
idéalisme moniste incompatible avec toute forme de substantialisme.
Cette démonstration ne va pas résoudre le problème du
corps et de l'esprit, mais va conduire vers une nouvelle
formulation du problème. En effet, avec l'hypothèse du
computationnalisme, le problème du corps et de l'esprit va se
transformer nécessairement en la recherche des dérivations
- d'une phénoménologie de l'esprit --capable
d'expliquer l'origine et la nature des savoirs et des croyances, et
- d'une phénoménologie de la
matière, capable d'expliquer l'origine et la nature de nos
observations et de nos croyances physiques.
Le point 1. peut difficilement être considéré comme original.
Avec le computationnalisme, la psychologie est trivialement
réductible en principe à l'informatique théorique. Ce qui
est original, c'est de démontrer que pour résoudre le
problème du corps et de l'esprit, on est obligé de
dériver la phénoménologie de la matière
à partir de la phénoménologie de l'esprit. Cela fait
de la physique une branche, en principe, de la psychologie.
C'est précisément l'inverse des tentatives de réduction
habituelle où l'on essaye de rendre compte des qualités
psychologiques à partir de la matérialité cérébrale, corporelle
ou même cosmique ou universelle.
Au contraire, le mécanisme nécessite un
psychologisme
éliminant toute ontologie substantielle plutôt qu'un
physicalisme
éliminant l'ontologie spirituelle.
Le mécanisme nécessite donc de faire de la physique
une branche de la psychologie, elle-même branche de
l'informatique théorique, elle-même branche de la
théorie des nombres. Le terme ``branche" est utilisé dans un sens un peu plus
général que d'habitude, cela se précisera de
soi-même au fur et à mesure de la démonstration.
Un logicien attentif constatera que la matière n'est pas
logiquement
éliminée. Mais elle va perdre tout pouvoir
explicatif y compris pour rendre compte aussi bien des
sensations physiques que de la science physique.
On remarquera une certaine ironie dans cette situation. En effet,
le mécanisme est en général évoqué par des
matérialistes réductionnistes (si pas
éliminativistes) pour désubstantialiser l'esprit et
contrer le dualisme ou d'autres spiritualismes. Et cela marche en
effet, mais si on y regarde de plus près (ce qui est
proposé ici) la désubstantialisation ne peut pas
s'arrêter à l'esprit, mais s'étend sur le corps, la
matière et l'univers.
Le travail n'est pas spéculatif. Il s'agit bien d'une
démonstration, ou d'une argumentation
hypothético-déductive: SI le mécanisme est correct
ALORS la physique doit être réduite
à la psychologie. Je précise ce point au chapitre 2.
Remarque méthodologique Afin d'aider le lecteur
à ne pas perdre le fil de la démonstration, j'ai
décidé d'être le plus court possible. La
démonstration, qui commence au chapitre 3, est
terminée à la fin du chapitre 4. Elle ne nécessite
aucune connaissance particulière,
à l'exception d'une connaissance passive de la thèse de
Church et, bien sûr, du minimum de bagage en philosophie
classique, comme celle requise dans l'enseignement secondaire
supérieur en France (de bons manuels sont
[Huisman and Vergez, 1966], ou [Nagel, 1987]). L'annexe D
fournit une introduction au problème du corps et de l'esprit ainsi
que quelques précisions supplémentaires sur la notion de niveau
adéquat de mécanisme.
Le chapitre 1, qui énonce de façon
précise les hypothèses
de tout le travail, mentionne des points techniques qui ne
sont pas utilisés dans la démonstration. Inutile de
trop s'y attarder avant le chapitre 5.
Le chapitre 5 illustre la recherche d'une solution au problème
du corps et de l'esprit à la lumière de la
démonstration donnée. A la différence de la
démonstration, cette recherche prospective nécessite un
certain nombre de prérequis techniques. On peut consulter
directement le rapport technique [Marchal, 1995] ou les
annexes en partie tirées de ce rapport, ou certains ouvrages
particulièrement pertinents comme [Boolos, 1993], [Webb, 1980],
ainsi que [Albert, 1992] et [Maudlin, 1994] pour la physique.
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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999