next up previous contents
Next: L'hypothèse du computationnalisme Up: No Title Previous: Remerciements

Introduction

L'hypothèse computationnaliste, ou plus simplement le mécanisme, que je considère ici, est l'hypothèse selon laquelle je suis une machine, ou vous êtes une machine. De façon précise je m'intéresse à l'hypothèse selon laquelle nous pourrions survivre, non seulement avec un coeur artificiel ou un rein artificiel, etc., mais aussi avec un cerveau artificiel digital (finiment descriptible) pour autant qu'il soit configuré convenablement au niveau adéquat.
Le but n'est pas de défendre cette hypothèse, mais d'en étudier les conséquences, notamment concernant le problème du corps et de l'esprit.
En particulier je vais montrer que, contrairement à une idée très largement répandue aussi bien chez les philosophes, les physiciens que chez l'homme de la rue, le mécanisme est incompatible avec le matérialisme.
Je vais démontrer que le mécanisme est incompatible avec le monisme matérialiste selon lequel il existe exclusivement un univers substantiel descriptible en principe entièrement en termes physiques. Je vais incidemment démontrer aussi que le mécanisme est incompatible avec le dualisme selon lequel il existe à la fois un univers concret (décrit par les lois de la physique), et un univers spirituel. En fait le dualisme peut être vu comme un double matérialisme puisque le dualisme tente de substantialiser aussi bien le corps-matière que l'âme-esprit.
Je vais donc démontrer que le mécanisme nécessite un idéalisme moniste incompatible avec toute forme de substantialisme. Cette démonstration ne va pas résoudre le problème du corps et de l'esprit, mais va conduire vers une nouvelle formulation du problème. En effet, avec l'hypothèse du computationnalisme, le problème du corps et de l'esprit va se transformer nécessairement en la recherche des dérivations

  1. d'une phénoménologie de l'esprit --capable d'expliquer l'origine et la nature des savoirs et des croyances, et
  2. d'une phénoménologie de la matière, capable d'expliquer l'origine et la nature de nos observations et de nos croyances physiques.
Le point 1. peut difficilement être considéré comme original. Avec le computationnalisme, la psychologie est trivialement réductible en principe à l'informatique théorique. Ce qui est original, c'est de démontrer que pour résoudre le problème du corps et de l'esprit, on est obligé de dériver la phénoménologie de la matière à partir de la phénoménologie de l'esprit. Cela fait de la physique une branche, en principe, de la psychologie.
C'est précisément l'inverse des tentatives de réduction habituelle où l'on essaye de rendre compte des qualités psychologiques à partir de la matérialité cérébrale, corporelle ou même cosmique ou universelle.
Au contraire, le mécanisme nécessite un psychologisme éliminant toute ontologie substantielle plutôt qu'un physicalisme éliminant l'ontologie spirituelle.
Le mécanisme nécessite donc de faire de la physique une branche de la psychologie, elle-même branche de l'informatique théorique, elle-même branche de la théorie des nombres. Le terme ``branche" est utilisé dans un sens un peu plus général que d'habitude, cela se précisera de soi-même au fur et à mesure de la démonstration.
Un logicien attentif constatera que la matière n'est pas logiquement éliminée. Mais elle va perdre tout pouvoir explicatif y compris pour rendre compte aussi bien des sensations physiques que de la science physique.
On remarquera une certaine ironie dans cette situation. En effet, le mécanisme est en général évoqué par des matérialistes réductionnistes (si pas éliminativistes) pour désubstantialiser l'esprit et contrer le dualisme ou d'autres spiritualismes. Et cela marche en effet, mais si on y regarde de plus près (ce qui est proposé ici) la désubstantialisation ne peut pas s'arrêter à l'esprit, mais s'étend sur le corps, la matière et l'univers.
Le travail n'est pas spéculatif. Il s'agit bien d'une démonstration, ou d'une argumentation hypothético-déductive: SI le mécanisme est correct ALORS la physique doit être réduite à la psychologie. Je précise ce point au chapitre 2.


Remarque méthodologique Afin d'aider le lecteur à ne pas perdre le fil de la démonstration, j'ai décidé d'être le plus court possible. La démonstration, qui commence au chapitre 3, est terminée à la fin du chapitre 4. Elle ne nécessite aucune connaissance particulière, à l'exception d'une connaissance passive de la thèse de Church et, bien sûr, du minimum de bagage en philosophie classique, comme celle requise dans l'enseignement secondaire supérieur en France (de bons manuels sont [Huisman and Vergez, 1966], ou [Nagel, 1987]). L'annexe D fournit une introduction au problème du corps et de l'esprit ainsi que quelques précisions supplémentaires sur la notion de niveau adéquat de mécanisme.
Le chapitre 1, qui énonce de façon précise les hypothèses de tout le travail, mentionne des points techniques qui ne sont pas utilisés dans la démonstration. Inutile de trop s'y attarder avant le chapitre 5.
Le chapitre 5 illustre la recherche d'une solution au problème du corps et de l'esprit à la lumière de la démonstration donnée. A la différence de la démonstration, cette recherche prospective nécessite un certain nombre de prérequis techniques. On peut consulter directement le rapport technique [Marchal, 1995] ou les annexes en partie tirées de ce rapport, ou certains ouvrages particulièrement pertinents comme [Boolos, 1993], [Webb, 1980], ainsi que [Albert, 1992] et [Maudlin, 1994] pour la physique.


next up previous contents
Next: L'hypothèse du computationnalisme Up: No Title Previous: Remerciements

Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999