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Comme dit Watson ``la cellule obéit aux lois de la chimie",
et les motivations mécanistes qui proviennent de la biologie
moléculaire justifient peut-être une croyance dans un
mécanisme indexical relatif aux lois de la chimie
[Watson, 1968, Pauling, 1966]. Si celles-ci se révélaient
non-mécanisables, le mécanisme se verrait affaibli, peut-être
réfuté, certainement relativisé. Cette suggestion est
d'autant plus fondée que les lois de la chimie sont capturées par
la mécanique quantique. Celle-ci, en dépit de son nom
(mécanique est utilisé dans le sens Newtonien), attire
les philosophes qui verraient dans les
faits décrits (et jusqu'à présent confirmés) de
cette théorie une justification empirique de la nature
non-mécaniste du monde et/ou de la conscience.
Les arguments anti-mécanistes fondés sur la
mécanique quantique sont variés. examinons-en
brièvement quelques-uns :
a) Le plus ancien argument: la MQ met en évidence un
indéterminisme intrinsèque dans le monde (ou plus
précisément concernant les relations entre
l'observateur et le monde). Le mécanisme est
déterministe. Donc notre relation au monde n'est pas
mécaniste. Ceux qui usent de cet argument sont tentés
d'``expliquer" le libre-arbitre au moyen de cet
indéterminisme. L'argument a déjà été
réfuté par Carnap ou McKay ou Schrödinger. De plus,
on a montré que le mécanisme n'est pas déterministe.
b) Le plus récent argument: la MQ rend possible des
matériaux très particuliers, comme par exemple les
quasi-cristaux de Penrose et Shechtman voir Penrose 1989).
Penrose suggère, sans vraiment se convaincre lui-même
semble-t-il, que le cerveau pourrait être une sorte de
quasi-cristal. De même Margeneau 1984 et Squires 1990
cherchent à utiliser la MQ pour développer une
théorie dualiste et non mécaniste de l'esprit (voir
[Squires, 1990]).
Les arguments suivants méritent d'être examinés plus
en détail parce que l'hypothèse mécaniste
(indexicale) les éclaire considérablement. A cette fin
j'expose le minimum qu'il faut avoir à l'esprit sur la
mécanique quantique pour suivre l'argument.
Newton concevait la matière et la lumière comme
constituées de particules interagissant les unes avec les
autres. Huygens quant à lui réserve cette façon de
voir pour la matière exclusivement. Il développe une
théorie ondulatoire de la lumière qui rend compte avec
succès de nombreux phénomènes lumineux. Einstein
mettra en évidence, dans son travail sur l'effet
photo-électrique, un aspect corpusculaire de la lumière,
sans détrôner pour autant la théorie ondulatoire. Il
fonde ainsi la théorie quantique de la lumière. De
Broglie étend cet aspect onde-corpuscule de la lumière
à la matière. Cela permet de rendre compte du
comportement des électrons dans les atomes décrits par
Bohr et cela signifie la naissance de la théorie quantique
de la matière. Le tableau suivant résume l'évolution
du concept de lumière et de matière:
| | |
Newton | lumière | corpuscule |
| matière | corpuscule |
Huygens | lumière | onde |
| matière | corpuscule |
Einstein | lumière | corpuscule |
| | onde |
de Broglie | matière | onde |
| | corpuscule |
| | |
Born, à son tour, donne une interprétation probabiliste
de l'onde accompagnant la particule. Il associe donc une
grandeur qu'il appelle amplitude de probabilité à la
particule. C'est cette amplitude qui oscille et est responsable
de la présence des phénomènes quantiques
d'interférence ondulatoire. A présent, lorsqu'on
décide d'observer la position de la particule, le
résultat sera une position bien précise, résultat
prédit par l'amplitude de probabilité de la valeur de
l'onde en cette position mise au carré.
Illustration : supposons qu'une particule ait le choix entre
deux chemins pour aller d'une source vers un point d'un
écran, en traversant par exemple une plaque comportant deux
trous 1 et 2. Dans le cas classique, la probabilité
SX/T1 (resp SX/T2) d'arriver en en passant
par le trou (resp 2) est égale au produit des
probabilités d'aller de à 1 (resp 2) avec la
probabilité d'aller de 1 (resp 2)
à :
13525SX/T1 = P13525ST1 P13525T1X (resp P13525SX/T2 =
P13525ST2 P13525T2X).
La probabilité d'aller de en , quel que soit le trou
emprunté est alors égale à la somme de ces deux
probabilités: SX = P7ST1 P7T1X + P7ST2
P7T2X.
Quantiquement, le raisonnement est le même excepté que,
tant qu'aucune mesure n'est effectuée, on additionne et on
multiplie les amplitudes ondulatoires. Pour trouver la
probabilité du résultat de la mesure finale de la
position de la particule sur l'écran, on élève
l'amplitude finale au carré. Si XY représente
l'amplitude pour aller de en , la probabilité d'aller
de en 1, PSX/T1, est égale à ST1
AT1X)2, et de même SX/T2 = (AST2
AT2X)2. Avec un seul trou ouvert on retrouve la
situation classique,
mais avec les deux trous ouverts, l'amplitude finale est
égale à la somme des amplitudes correspondant aux
alternatives: SX = (AST1 A7T1X) + (A7ST2
A7T2X), si bien que la probabilité pour aller de
en vaut:
SX = ((AST1 AT1X) + (AST2 AT2X))2
-
-
- = PST1 PT1X + PST2 PT2X
+ 2(AST1 AT1X) (AST2 AT2X)
Dans le cas quantique, un terme supplémentaire doit donc
être pris en compte. Comme l'amplitude est ondulatoire,
c'est-à-dire que i quelque chose (avec le ``quelque
chose" dépendant, d'une façon générale du temps et de
l'espace , ), la valeur de la probabilité finale sera
oscillante le long de l'écran:
Si on avait mesuré par quel trou passe la particule (par
exemple en mesurant l'impulsion de l'écran), on aurait pu
additionner directement les amplitudes au carré des chemins
alternatifs, et le terme d'interférence aurait été
annulé.
La suppression du terme d'interférence est-elle due à
la perturbation physique de la me
- le développement continu et déterminé
de l'onde (décrit par l'équation différentielle de
Schrödinger dans le cas non relativiste par exemple). La
grandeur oscillante est appelée amplitude.
- la réduction abrupte de l'onde lors d'une observation.
Le résultat de l'observation peut être prédit avec une
probabilité calculable à partir de la forme de l'onde,
(l'amplitude de l'onde au carré). C'est le principe de
réduction.
Nous pouvons aborder l'argument suivant. Il est à la base
d'une approche contra-mécaniste en philosophie de l'esprit:
c) L'argument classique : il constitue la théorie de la
mesure de von Neumann (1932), reprise par [London and Bauer, 1939, Wigner, 1967a]
etc. Puisque le comportement de tout ce qui est physique y compris mon
corps et mon cerveau, en l'absence d'observation semble
être décrit par le développement déterminé
et continu de l'onde, c'est que la réduction de l'onde est
opérée par ce qui est non physique en moi,
c'est-à-dire, selon von Neumann, la conscience (parfois
appelée ici spectateur ultime de la chaîne de von
Neumann, la chaîne étant constituée de l'objet
observé, l'oeil, la rétine, le nerf optique, les
neurones du cortex visuel, etc.)
Cette théorie soulève des difficultés logiques et
physiques considérables. Imaginez une mesure quantique faite
par un aveugle qui se contente de photographier les
résultats (sans les connaître, et donc sans prendre
conscience de ces résultats, et donc sans réduire
l'onde), et d'envoyer ces résultats par la poste à un
ami physicien. Avec la théorie de von Neumann, le physicien
aveugle est décrit par une superposition ondulatoire
d'états incompatibles tant que son ami n'a pas pris
conscience du résultat (voir Shimony 1963, ou encore 1989
pour des analyses plus détaillées de cet argument).
Avec l'hypothèse mécaniste, l'observateur-machine ne
peut pas être privilégié par rapport à l'objet
observé. L'observateur doit donc être décrit, comme
l'objet, par l'équation continue et déterministe de
l'onde. Il y a ici un plongement du sujet dans l'objet.
Everett, en 1957, montre qu'il est encore possible d'assigner des états
aux systèmes observés à condition de relativiser la notion
d'état. L'observateur-machine se
retrouvera lui-même dans une superposition d' états incompatibles. Mais
comme le montreront indépendamment Graham et Hartle, chacun des
observateurs-machines, multiplié par les interactions,
placera dans sa mémoire un résultat bien précis,
cohérent pour chacun des observateurs avec la statistique
attachée au postulat de réduction de l'onde. Everett
inaugure ainsi une des premières formulations de la mécanique quantique
sans réduction de l'onde. Il construit à partir de
l'équation d'onde appliquée au système complet
[observateur + objet-observé] une phénoménologie de
la réduction en utilisant l'hypothèse que l'observateur
est une machine et qu'elle obéit dès lors aux lois de la
physique.
Afin que cela soit plus claire voici une présentation plus
schématique des positions respectives de von Neumann et
d'Everett.
Une particule, tant qu'elle n'est pas observée, se manifeste
comme si elle était en plusieurs endroits à la fois par
l'intermédiaire de son amplitude ondulante. Des observations
indirectes permettent de confirmer cette prédiction (ou
plutôt rétrodiction) de la mécanique quantique, mais
si on observe la position de la particule directement,
l'observateur positionnera la particule à un endroit
précis:
C'est la réduction de l'onde. Comme le cerveau de
l'observateur est lui-même un système de particules, von
Neumann a conclu que la réduction est opérée par la
conscience -explicitement non physique, et dissociée ainsi
du cerveau- de l'observateur. Avec l'hypothèse
mécaniste, on est obligé d'admettre que l'observateur a
le même statut que la particule non observée. Dans ce
cas il n'y a tout simplement pas de réduction:
L'observateur se multiplie comme la particule observée. Mais
chacun des nouveaux observateurs pensent localiser la particule
en un endroit précis : pour chaque observateur on obtient
une phénoménologie de la réduction du paquet d'onde.
Everett a montré que le formalisme de la mécanique
quantique permet de justifier pourquoi l'observateur ne
perçoit pas sa propre multiplication ni la présence de
ses ``sosies". De plus cette interprétation est
nécessaire lorsqu'on désire appliquer la mécanique
quantique en cosmologie où les systèmes sont
gigantesques et incluent d'office les observateurs.
L'interprétation ou la formulation d'Everett de la
mécanique quantique est pour le moins contre-intuitive
puisque l'observateur est multiplié, sans qu'il ne puisse
d'ailleurs le remarquer directement. Cette interprétation
est controversée. Cependant, toutes les interprétations
de la mécanique quantique sont contre-intuitives et
controversées.
Tout argument en faveur de l'interprétation d'Everett, ou
plus généralement en faveur des interprétations sans
réduction du paquet d'onde, fait de la mécanique
quantique une compagne pour la philosophie mécaniste de
l'esprit plutôt qu'une plausible concurrente. L'argument le
plus simple pour défendre Everett est peut-être
donné par l'application d'une version conceptuelle du rasoir
d'Occam : pour le philosophe mécaniste la théorie
est non seulement plus courte, mais est surtout conceptuellement
plus simple que la théorie
D'autant plus que le principe de réduction se réfère
de façon arbitraire à l'observateur et à ses
décisions.
Nous avons eu l'occasion de constater que la
multiplication du sujet est un phénomène plus
intrinsèquement mécaniste que quantique. Contentons-nous
momentanément de retenir que les faits quantiques non
seulement ne contredisent pas l'hypothèse mécaniste, mais
semble plutôt la confirmer. L'interprétation d'Everett
mue le doute qui vient de la chimie en motivation pour le
mécanisme.
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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999