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Le computationnalisme est une hypothèse faible

Considérons l'histoire suivante:
Le foie de Madame A. ne fonctionne plus. Madame B. vient de décéder dans un accident de la circulation. Par chance le foie de Madame B. est en bon état et son système immunitaire est compatible avec celui de madame A. Avec l'accord de la famille B., les médecins décident de greffer le foie de madame B. dans le corps de madame A. Après trois semaines de convalescence, madame A. peut rentrer chez elle, tout le monde s'accorde pour dire qu'elle a survécu à l'opération.
Cette histoire ne pose aucun problème philosophique majeur. En irait-il de même si on remplace dans cette histoire l'organe cerveau à la place de l'organe foie ? Aujourd'hui les physiologistes estimeront que si Madame A. reçoit le cerveau de Madame B., il faudra plutôt convenir que c'est Madame B. qui survit à l'opération, malgré qu'elle hérite du corps de Madame A. Mais bien sûr ceci n'est pas évident a priori. Après tout il fut un temps où des hommes (parmi les anciens grecs) pensaient que le foie constituait le siège des sentiments, et le cerveau ne servait, à leur avis, qu'à refroidir le sang. Ils auraient sans doute estimé que Madame B. survit dans la première histoire, et que Madame A. survit dans la deuxième histoire. Les physiologistes ont cependant de sérieux indices au sujet du rôle du cerveau dans le psychisme, incluant les sentiments, les souvenirs, l'identité psychologique, etc. Le cerveau semble donc être privilégié par rapport aux autres organes. On ne peut pas survivre avec une greffe naturelle de cerveau. C'est plutôt le propriétaire du cerveau qui survit, avec une greffe de corps. A cause de cette dissymétrie entre le cerveau et les autres organes, certains philosophes concluent qu'on ne peut survivre avec une greffe --naturelle ou artificielle-- du cerveau. Cette conclusion n'est pas valide. Considérons en effet l'histoire suivante.
Je travaille à ma thèse sur mon ordinateur. Celui-ci tombe en panne. Après inspection on découvre que la panne est dans le clavier. On remplace mon clavier. Dans ce cas, ma thèse ``a survécu" : pas de problème. Supposons cependant qu'après inspection on découvre que la panne se situe dans le disque dur. On remplace mon disque dur avec le disque dur du premier ordinateur disponible, ma thèse ``survivra-t-elle" ?
Bien sûr que non, à moins qu'on ne parvienne à extraire la configuration de mon disque dur, et à réaménager le nouveau disque dur à partir de la configuration de l'ancien. Et il en est de même avec l'histoire de Madame A. Si l'hypothèse du mécanisme est correcte, Madame A. peut survivre avec le cerveau de Madame B. pour autant que : Evidemment, une telle opération n'est pas éthiquement faisable (et encore moins techniquement, du moins aujourd'hui). Mais pour notre réflexion théorique, elle illustre que si on procède à une greffe complète du corps, celle-ci ne réussira qu'à condition d'opérer les substitutions à un niveau adéquat. L'hypothèse computationnelle peut alors s'écrire de la façon suivante :

il existe n BEH(n)

BEH est mis pour ``behaviorisme", BEH(n) signifie que je survis lorsque les substitutions ont été faites à partir d'une description effectuée à un certain niveau n. On admet une description exclusivement en termes d'entrées et de sorties pour des composants jugés élémentaires à un certain niveau. La nature interne des composants élémentaires n'importe pas. L'hypothèse mécaniste de ce travail peut être considérée comme faible en ce sens qu'aucune restriction n'est imposée au niveau, ni même à la notion de niveau utilisée. En fait la notion de niveau est vague, et nous aurons l'occasion de justifier pourquoi elle doit être nécessairement vague. Tout ce qui est demandé, c'est qu'une fois le niveau de description choisi, la description puisse être digitalisée, c'est-à-dire codée numériquement. Exemples :
  1. Certains neurophysiologistes estiment que les neurones constituent les composants élémentaires du cerveau. ``BEH(niveau des neurones)" signifie que je survis à la substitution de mes neurones par des dispositifs fonctionnellement équivalents aux neurones, c'est-à-dire ayant des sorties identiques pour des entrées identiques.
  2. Certains neurochimistes estiment que les molécules constituent les composants élémentaires. ``BEH(niveau des molécules)" signifie que je survis à la substitution de mes molécules par des dispositifs fonctionnellement équivalents aux molécules, pour autant, évidemment que l'on parvienne à donner un sens à cette expression. Il n'est pas exclu qu'on puisse survivre avec des neurones électroniques au cas où, par exemple, ces neurones simulent en détails les variations des concentrations des diverses molécules au sein du neurone biologique correspondant.
  3. Certains physiciens estiment qu'il faut tenir compte de l'état quantique de la matière constituant le cerveau. A cause de la nature particulière de la mécanique quantique ce cas se scinde en deux.
Appelons cerveau généralisé la partie de l'univers qu'il est nécessaire de simuler parfaitement pour que mon expérience subjective puisse apparaître. Une telle partie existe avec le computationnalisme. Le niveau n du mécanisme peut être scindé en un couple d'au moins deux paramètres (g, d). Le paramètre g désigne un coefficient de granularité. Il décrit le niveau de résolution des détails dont il faut tenir compte pour la reconstitution. Le paramètre d désigne le diamètre maximal de la zone qu'il faut dupliquer ou simuler parfaitement pour survivre à l'expérience de télétransport. Il est possible qu'il faille tenir compte d'autres paramètres. Le computationnalisme exige uniquement l'existence du niveau de simulation digitale. Les paramètres g, d, et d'éventuels autres paramètres doivent être finiment descriptibles. Peu importe qu'ils soient gigantesques ou minuscules. Une remarque méthodologique s'impose. Dans la narration de l'histoire du philosophe P. du chapitre 3, le paramètre g est tout à fait indéterminé . On ne nous donne aucune information sur les détails du cerveau dont le médecin a jugé opportun de tenir compte pour la reconstitution, à part une brève allusion au réseau neuronal et à sa topologie. Par contre le paramètre d est implicitement évalué à la taille du cerveau, puisque le médecin se contente de dupliquer celui-ci. On pourrait donc croire que j'utilise un computationnalisme plus fort (vis-à-vis du niveau) dans certaines expérience par la pensée, ce qui nuirait à la généralité de ma démonstration. A ceci j'ai deux réponses : Les niveaux ne sont pas nécessairement totalement ou linéairement ordonnés. Il n'y a pas a priori de plus haut ou de plus bas niveau de substitution. Il existe par contre a priori des niveaux incomparables. Cela provient du fait qu'un niveau est déterminé par un ensemble de paramètres indépendants. On ne peut pas, par exemple comparer un niveau déterminé par un petit coefficient de granularité g1 et un petit ``diamètre" d1 avec un niveau déterminé par un grand coefficient de granularité g2 et un grand ``diamètre" d2. Il est donc opportun de garder à l'esprit une ``échelle" qui a la forme d'un treillis ou d'un préordre. % imprime tout le fichier biblio % cf. Joli manuel ...p.12
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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999