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Le computationnalisme est une hypothèse forte

Pour distinguer les mécanismes possibles, une façon de procéder est de regarder des situations où ces différentes versions du mécanisme est faux. Considérons en effet l'expérience de la duplication de soi, et analysons les résultats possibles suivants :
Absence de double
Le cas le plus simple où le mécanisme, défini plus haut, est faux est l'échec complet des duplications possibles. Par exemple, le double obtenu est inanimé. Il n'a pas d'activité cérébrale, ou il n'a rien de commun avec moi. Et ça quel que soit le niveau de duplication. Dans ce cas le mécanisme est faux.
Le double est un zombie
Ensuite vient le cas où le double est un zombie. Il me ressemble, il a les mêmes attitudes que moi, et aucun observateur extérieur n'est à même de le distinguer de moi. Mais par définition, il n'a pas de conscience, pas d'expérience privée, etc. Le ``zombie" désigne en philosophie de l'esprit contemporaine un être qui a toute l'apparence d'un être humain, mais qui n'a pas de conscience au sens phénoménal du terme. On peut sérieusement douter de l'existence du zombie, mais le zombie est, d'un point de vue strictement logique, concevablegif. Et si le double est toujours un zombie, le mécanisme, tel que je le considère dans ce travail, est certainement faux, indépendamment du fait que cette fausseté n'est pas vérifiable. Par contre une forme affaiblie du mécanisme demeure correcte. Il s'agit du mécanisme béhavioriste (Mec-Beh). Définition Mec-Beh : Une machine peut posséder toutes les apparences extérieures (descriptible à la troisième personne) d'un être humain (en l'occurrence de moi). Sous l'influence du mouvement positiviste, certains auteurs (dont Turing avec son célèbre test de l'imitation) ont défini le mécanisme de façon exclusivement béhavioriste. Du point de vue positiviste, cette définition est très ouverte : le terme ``zombie" n'a pas de sens, et Turing attribue par défaut une expérience privée à toute entité capable de passer un test d'imitation suffisamment sophistiqué. Cependant, cette approche du mécanisme est un peu stérile en philosophie de l'esprit où l'on tente d'attribuer des références explicites à des termes comme ``privé", ``conscience", ``opinion personnelle" etc.
Le double est un autre
Ensuite vient naturellement le cas où le double n'est pas un zombie, on lui attribue explicitement une expérience intérieure. Il est humain à part entière, mais il n'est pas moi. C'est ce que pense par exemple Monsieur D2 dans l'histoire de Monsieur D. Le double apparaît comme un ``frère jumeau" tombant du ciel, une sorte d'imposteur. Dans ce cas, notre hypothèse computationnaliste est fausse, mais une part plus restreinte reste correcte : il s'agit du mécanisme fort (Mec-Fort), ou, si le double est digital, il s'agit de la thèse forte de l'intelligence artificielle (strong AI thesis), selon laquelle une machine (digitale) peut avoir une expérience privée. Cela n'implique pas logiquement que je (ou l'homme) soit une machine. Définition Méc-Fort : Une machine peut être le véhicule d'une expérience privée. Une machine peut permettre la manifestation d'une expérience authentiquement subjective, intime, phénoménale, privée.
Le double est moi
Ou plus exactement, le double peut être moi, même si je ne peux en aucune façon le croire lorsqu'on me le présente. C'est ce que j'appelle la version indexicale du mécanisme. Elle est équivalente à croire que je peux survivre avec un cerveau artificiel. Définition Méc-Ind : Une machine peut être moi. Je peux survivre avec un cerveau artificiel.
On obtient les versions digitales correspondantes de ces définitions en remplaçant machine par machine digitale. D'un point de vue strictement logique on peut se convaincre que :
Mec-Ind Mec-Fort Mec-Beh
Preuve. En effet, si vous êtes une machine (Mec-Ind), alors il existe une machine qui peut penser (Mec-Fort), et il y a une machine qui peut avoir votre comportement (Mec-Beh). De même on peut se convaincre aisément qu'aucune parmi ces implications n'est réversible:
Mec-Beh Mec-Fort Mec-Ind
Preuve. En effet, la notion de zombie illustre le fait que le mécanisme béhavioriste n'entraîne pas le mécanisme fort. Et la perplexité non-mécaniste du philosophe P2 au chapitre 3 illustre que le mécanisme fort n'entraîne pas le mécanisme indexical. Dans ce sens, notre hypothèse computationnelle est une version très forte du mécanisme. Il s'agit d'une version digitale du mécanisme indexical. Mais notre hypothèse computationnelle peut aussi paraître logiquement très faible.
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Bruno Marchal
Thu Apr 1 00:14:24 CEST 1999